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Saint Pierre le Clair
19 décembre 2017

le village médiéval : histoire et archéologie

 

                          un site gallo-romain ?

 

 

 

                  Des fragments de tégula (tuile plate à rebord) et de dolium (silo) ont été recueillis aux abords de l'église.

Ces vestiges révèlent un petit établissement antique, sans doute à vocation agricole, comme il en existe beaucoup dans les environs.
La vallée de la Corneilla apparaît en effet assez peuplée et largement mise en valeur dès cette époque, y compris les collines à présent délaissées.

Une voie romaine passait en contrebas de St Pierre-le-Clair, en suivant la rive gauche de la Corneilla. Cete voie antique reliait Carcassonne à Llivia en Cerdagne. Elle remontait la vallée de l'Aude en évitant les défilés et passages difficiles comme les gorges d'Alet.

 

 

                         une église romane :

              Nous ne savons encore rien sur l'occupation du site au cours du haut Moyen-Age (Vè-XIè siècles). A cette époque, les sites de hauteur offrant des qualités défensives sont souvent utilisés. Mais il ne semble pas qu'un habitat fortifié important ait existé à St Pierre-le-Clair, du moins aux abords de l'église. La position de cet éperon permettait la surveillance de la voie romaine, sans doute encore utilisée au Moyen-Age.

St Pierre le Clar église

vue de l'intérieur de l'église : mur Sud de la nef et du choeur.

 

        Au cours du XIè ou du XIIè siècle, une église romane est édifiée. Il ne s'agit pas d'une petite chapelle mais d'une véritable église : un bâtiment de 23 m. X 9 m, en tout point comparable aux églises romanes qui subsistent encore dans les villages environnants .

        Le mur Nord de la nef ainsi que l'abside demi-circulaire sont arasés mais leurs bases sont bien visibles. Le mur Sud de la nef présente encore une élévation de 4 à 5 m.. Le choeur, situé entre l'abside et la nef, est la partie la plus large : 7,45 m, contre 6,20 m pour la nef. Au niveau du choeur, le mur atteint aussi sa plus grande épaisseur : 1,80 m , ce qui laisse penser qu'il supportait une voûte en berceau, qui se trouvait donc juste au dessus de l'autel.

 

P1070577

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                        Un village ecclésial ?

             Autour de l'église et de son cimetière, des traces d'habitat sont visibles en surface, depuis longtemps identifiées comme telles par les habitants des villages voisins, qui voyaient là des "maisons de moines". L'architecte des bâtiments de France Mr. Hyvert en donna une première description le 31-5-1947 :

"On apperçoit en effet à proximité de l'église de nombreux tas de pierres qui sont bien des ruines de maisons car il existe encore ça et là des assises bien visibles, avec angles et murs de refends. Il y avait donc là un habitat, justifié, en dépit de la pauvreté des terres, par des sources abondantes."

St Pierre le Clar Sud 1

 

 au premier plan : le village en partie détruit ; au dessus : l'église St Pierre

 

P1070582

 

 

 

 

 

 

   à gauche : l'église, sous le chemin : emplacement l'habitat

           

 

   L'organisation et l'importance de ce  village sont à présent difficiles à appréhender : le site a été en grande partie détruit au cours de l'été 2013.

On peut émettre comme hypothèse sérieuse qu'il s'agit d'un village de type ecclesial. L'église est située sur la partie la plus élevée, structurant fortement l'habitat qui s'organise juste en contrebas sur le versant Sud de la colline.

 

                                                                                            

Deux micro-reliefs en creux parfaitement symétriques se laissent deviner à l'Est et à l'Ouest de l'église, à égale distance de ses murs, c'est à dire trente mètres. Ils pourraient correspondre aux vestiges d'un ancien fossé en demi-cercle entourant et englobant l'habitat pour former un enclos fossoyé. Le versant Nord plus abrupt faisant office de fossé naturel.

 

St Pierre le Clar : micro relief Ouest

 

Micro-relief en creux à l'Ouest de l'église : possible trace de fossé

 

St Pierre-le-Clair pourrait être un ancien village ecclesial. Ils sont particulièrement nombreux dans les environs : on peut citer Tourreilles, St Sernin et Magrie, villages limitrophes du site, reconnaissables par leur noyau circulaire centré sur l'église.

 

St Sernin : vue aérienne

                                                                                                                              St Sernin :

                                                                                                                           village ecclesial

                                                                                                                             

 

 

 

 

 

             Les villages ecclesiaux ont vu le jour dans le contexte de la Paix de Dieu impulsée par l'Eglise après l'An 1000 afin de contenir les violences de la société féodale naissante. A l'intérieur d'un "cercle de paix" de trente pas autour du lieu de culte, les habitants bénéficiaient de la protection spirituelle et juridique de l'église. En installant leurs maisons à l'intérieur de ce cercle de paix ou enclos ecclesial, ils pouvaient échapper au brigandage et à la main mise des seigneurs laïcs. 

                                                                                                                                                     

Magrie phot aér

                                                                                                                                 Magrie :

                                                                                                                           village ecclesial

 

 

 

 

 

                        Villam Sancti Petri Clari :

 

          St Pierre-le-Clair est cité pour la première fois dans les textes en 1176. Le site est aussi mentionné en 1210 et 1224. Il est alors qualifié de "villa" : "in villam Sancti Petri Clari" . Le terme de "villa" au XIIè siècle ne désigne plus un grand domaine comme dans l'Antiquité ou au Haut Moyen-Age, mais un village, pourvu d'un territoire bien distinct "terminium", composé de terres cultivées et incultes, et de vignes : "terras, vineas, cultas et incultas".

           Il est aussi habité : "homines et feminas". Ce terroir villageois est aussi une seigneurie féodale à part entière : " in vasseria et in terminis ejus". ( In villam Sancti Petri Clari et in terminis ejus, et in vasseria et in terminis ejus, scilicet homines et feminas, terras et vineas cultas et incultas, et generaliter omnia quecumque Bertrandus de Aniorto ibi habebat et tenebat)

            Jusqu'en 1210, le seigneur du lieu est Bertrand de Niort : "Bertrandus de Aniorto". Cette année là, il fait don de ses droits sur St Pierre-le-CLair à l'Abbaye de Fontfroide. Bertrand de Niort devait confirmer cette donation dans son testament daté de 1224. Les  cisterciens de Fontfroide, qui ne possédaient rien d'autre dans la vallée de la Corneilla,  ont par la suite cédé la villa de St Pierre-le-Clair à l'Abbaye Ste Marie d'Alet, en échange d'autres terres. Les archives monastiques d'Alet ayant été détruites au cours des guerres de Religion, nous ne savons rien sur la place qu'occupa ce village dans le temporel des bénédictins d' Alet.

 

 

Alet vue gen Alet et son église abbatiale romane

 

 

 

                     Un village cathare ?

 

             Avant d' appartenir à Fontfroide, St Pierre-le-Clair était aux mains de la famille de Niort, originiaire du Pays de Sault,  le plus puissant lignage seigneurial de la contrée, bien connu pour avoir apporté son soutien à la cause cathare, et ainsi défié le Roi de France et l'Eglise . Les Niort prirent une part active à tous les combats de la Croisade Albigeoise, cette longue guerre qui mit le Languedoc à feu et à sang entre 1209 et 1255.

         Bertrand de Niort était le frère de Guillaume de Niort, lequel avait épousé Esclarmonde de Laurac, croyante cathare convaincue, elle même fille de Blanche de Laurac, qui finit ses jours comme parfaite hérétique. Nous ne savons pas si Bertrand de Niort partageait la foi de sa belle-soeur. C'est peu probable car il ne semble pas avoir intéressé les inquisiteurs. On peut néanmoins affirmer qu'il était proche vassal des Trencavel, Comtes de Carcassonne. IL assiste en effet comme témoin à deux importantes cérémonies d'hommage en 1202 et 1209.

chevalier

 

             Le fils de Bertrand : Raymond de Niort, était quant à lui un croyant cathare notoire. Autour de 1225, il avait "adoré" deux religieux ou parfaits hérétiques dans une maison de Tourreilles appartenant à un nommé Marcial, amené à témoigner de cela en 1250 : "Raymond de Niort adora les hérétiques Bernard Pons et Arnaud Pons en disant "Soyez bénis", et en s'agenouillant trois fois devant eux; les hérétiques répondaient à chaque "soyez bénis" : "Que Dieu vous bénisse" . ( dixit se vidisse apud Turrelhas in Reddesio, in domo Marcialis, quod Raymundus de Aniorto adoravit hereticos Bernardum Poncii et Arnaldum Poncii (...) dicendo : Benedicite, ter flexis genibus ante ipsos; heretici respondebant in quolibet Bendicite, Deus vos benedicat.)

               Raymond de Niort était aussi le mari de Marquesia, la fille de Pierre-Roger de Mirepoix, principal seigneur et défenseur de la forteresse de Montségur. Ont sait que tout deux suivirent de près le déroulement du long siège de Montségur en 1243 et 1244, faisant parvenir aux assiégés vivres et messages depuis leur château de Belvis en Pays de Sault. Après la chute de Montségur, Raymond de Niort est poursuivi par l'Inquisition. S'il perd son procès, il risque de voir tous ses biens confisqués et de finir ses jours excommunié. Mais c'est encore un personnage influent, co-seigneur de Quillan et autres places,  qui peut reprendre les armes à tout moment. Il a aussi des relations haut placées : le Roi de France St Louis, soucieux d'établir une paix durable en Languedoc, qui intervient en 1247 pour faire restituer à Raymond de Niort les biens qu'on lui avait confisqués. Le Pape Innocent IV ensuite, que Raymond n'hésite pas à aller trouver en personne à Rome pour lui demander son absolution, qu'il obtient en 1259. Raymond de Niort, désormais réconcilié avec l'Eglise, échappe aux foudres de l'Inquisition.

              La forte implication des Niort dans le catharisme et la Croisade éclaire  la cession de St Pierre -le-Clair à Fontfroide, et ce en 1210, au début de la guerre. Les moines cisterciens de Fontfroide étaient alors très engagés aux côtés des croisés et combattaient le catharisme .

Fontfroide cloitre cloître de l'abbaye de Fontfroide

Comment expliquer qu'une famille aussi favorable aux cathares fasse un tel cadeau aux ennemis de l'hérésie ? Sans doute les Niort ont-ils cherché à se concilier le puissant monastère, qui pourrait s'évérer un allié utile en cas de besoin.

 

Un village déserté :

    St Pierre-le-Clair  disparaît des textes après le XIIIè siècle. Sur le terrain, le mobilier céramique ne comporte que très peu d'éléments du bas Moyen-Age. La poterie vernissée est quasi absente. Les formes les plus courantes sont des pichets et marmittes à pâte grise peu décorés. Ces quelques éléments, laissent deviner un abandon assez précoce du site, dans le courant du XIIIè siècle , voire au début du XIVè siècle, antérieur au retournement de conjoncture de la fin du Moyen Age. Les villages disparus ne sont pas rares au pied des Pyrénées. La plupart d'entre eux ont été désertés au cours de la crise du bas Moyen-Age , entre le XIVè et le XVIè siècle.

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           rebord  représentatif du mobilier archéologique (XIè-XIIIè siècles) : grandeur nature

 

 

St Pierre-le-Clair s'est peut-être vidé de ses habitants au moment où les villages de fond de vallée se développaient. On observe en effet dès le milieu du XIIIè siècle un début de déperchement de l'habitat, parfois lié aux évènements de la Croisade, comme à Limoux, dont la partie haute fortifiée est abandonnée. Il s'agirait dans ce cas d'une désertion de croissance, antérieure à la crise du bas Moyen-Age.

 

St Pierre le Clair vue aérienne verticale IGN

 Vue aérienne du site avant destruction (géoportail 2010) : l'église est au Nord du chemin , le village au Sud, entouré d'un dense réseau de murets de pierre sèche.

 

 

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le diagnostic archéologique de l'INRAP (juillet 2016)

       Au cours de l'été 2016, à la demande de la Direction Régionale des Affaires Culturelles, une opération d'évaluation archéologique a été menée par l'Institut National des Recherches Archéologiques Préventives, suite à la reprise du projet éolien par Valeco. Les archéologues Tanguy Wibaut et Olivier Ginouvez ont réalisé plusieurs sondages, en particulier sur l'emprise de l'éolienne 4, prévue au beau milieu du village médiéval .

Olivier Ginouvez et Tanguy Wibaut de l'INRAP                                                                   les archéologues  dégagent un mur médiéval enfoui sous un pierrier


      Ces travaux ont confirmé les observations faites par Roger Hyvert en 1947 quant à l'existence d'un habitat villageois dans les pierriers : " Nos sondages mécaniques ont révélé la présence sous une faible couverture de terre végétale de murs de terrasse mais aussi de murs orthonormés appartenant à plusieurs bâtiments. Ces murs sont conservés sur plusieurs assises et présentent généralement deux parements de dalles et blocs liés à la terre avec un blocage interne de pierre et de terre. L'absence de tuile suggère des toits végétaux " (T. Wibaut : Rapport final d'opération- diagnostic archéologique , INRAP septembre 2016, p. 10) .

     Ces murs, d'une largeur de 70 à 80 cm, laissent entrevoir des batiments assez grands : 12 m X 6 m pour l'un d'eux .

La plupart des pierriers présents sur le site ne sont donc pas de simples tas d'épierrement liés à la remise en culture du plateau après l'abandon du village. Ils recouvrent et protègent des bâtiments médiévaux en élévation encore intacts.

IMG_0441                                                                                                                    angle d'un grand bâtiment


 Le mobilier céramique recueilli lors des travaux est identique à celui qui avait été observé  en surface . Il s'agit de poteries grises des XIè-XIIIè siècles : " pots globulaires, équipé pour l'un d'entre eux d'un bec pincé et de bords évasés. " Un seul décor décoré a été retrouvé : "une incision en forme de croix dessinée à la base d'un rebord." (T. Wibaut, p. 30).

Les sondages de l'INRAP laissent entrevoir un village médiéval resté intact et comme fossilisé sous les pierriers qui ont permis la protection des bâtiments. Si à l'avenir ces vestiges venaient à être dégagés et les maisons fouillées, apparaîtrait un ensemble bâti assez spectaculaire, à en juger d'après les structures déjà mises au jour.  Le village de St Pierre-le-Clair pourrait ainsi être mis en valeur et présenté au public. Il deviendrait alors un site touristique d'un intérêt majeur pour la vallée de la Corneilla.

 

couverture INRAP

 

 

 

 mars 2017 : les vestiges ci-dessus, que Valeco s'était engagé à préserver, ont été détruits par les travaux pour l'éolienne 4.

 

Vue Ouest 2 apres

Vue sud 2 apres

 

 

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